Ex-DRH de la Marine Nationale, élu Meilleur DRH en 2012, et président du club DéciDRH, l’amiral Olivier Lajous est un ambassadeur passionné du leadership dans les organisations. Face aux dangers mais aussi aux opportunités que présente la transformation numérique pour l’emploi, il dessine les contours d’une Direction qui doit devenir plus ambitieuse, avec l’impérieux devoir de réhumaniser la fonction. Dans la foulée de la publication de son dernier ouvrage « l’Art de l’équilibre », aux éditions l’Harmattan, il livre ici sa vision de rêveur ancré dans le réel, avec pour ligne de conduite l’humain avant tout.

 

 

Amiral, vous êtes jeune retraité et figure de proue du leadership au travail. Quelle est en 2016 votre vision de ce sujet ?

Amiral Olivier Lajous : Dans les 50 ans qui viennent, une personne travaillera en emploi salarié au maximum 20h par semaine car le patron n’aura pas besoin de plus, le travail répétitif étant fait par des machines. Alors se posera (et elle se pose déjà) la question de la rémunération du travail, et même du travail salarié lui-même.

Repartons des fondamentaux. Quels seront les besoins de l’Humanité à un siècle, soit la durée d’une vie humaine ? Toujours les mêmes, à savoir se nourrir, se loger, se vêtir, boire, avoir de l’énergie pour se déplacer, entreprendre, produire des « machines » etc. En moins de 50 ans, on est passé à 7% d’agriculteurs et à 10% d’ouvriers pour 80% de « cols blancs ». Demain à l’usine, et c’est déjà le cas souvent, c’est le robot qui travaillera. Que fera l’Homme ?

Jamais nous n’avons dû nous adapter aussi vite à une telle rupture. Il a fallu 200 ans pour sortir du Moyen-Age, puis 100 ans pour apprivoiser les machines, et il est déjà temps de trouver de nouvelles solutions quand le 207ème os de notre squelette, le Smartphone, bouleverse tous nos modèles. Partout dans le monde, à n’importe quel moment, quelqu’un est en train d’inventer une application qui va lui permettre d’avoir un revenu complémentaire, sur la base d’une activité non salariée, souvent en lien avec l’économie collaborative. Le temps de l’instantanéité plurielle est là. Comment s’y adapter sans oublier que nous l’avons-nous-même inventé ?

La révolution du smartphone

La révolution du smartphone

Vous avez été élu DRH de l’année en 2012. Quels changements sur la fonction RH et sur le recrutement les transformations précédentes induisent-elles ?

RH ce n’est pas un métier, c’est une passion ! Quand on veut le rentabiliser, dans une approche strictement financière, on met en place toutes sortes d’outils en oubliant que ce ne sont que des aides. L’humain est émotion, pas équation, et il faut se garder de tout vouloir codifier. On a cassé la confiance quand on a voulu se rassurer avec des processus de contrôle de gestion toujours plus tatillons, des indicateurs, le principe de précaution, etc. En RH, c’est insupportable, car la réussite d’une rencontre entre un employeur et un(e) employé(e) passe par une relation éthique et non juridique. Quand on choisit de cheminer ensemble, en transparence et en confiance, en sincérité et en altérité, ça ne peut que fonctionner. Mais depuis que l’on a besoin de 50 pages de contrat pour vérifier que l’on ne se fats pas entourlouper par l’autre, ça se finit hélas trop souvent aux prud’hommes. Est-on fier d’avoir mis ça en place ? Au final, cela contribue à un rapport de défiance désespérant, voire suicidaire, car l’énergie positive de confiance a disparu. La société du droit fausse les rapports humains. On a certes besoin de droit, mais a minima, et l’enjeu est d’en définir le PPCM (plus petit commun multiple), celui qui permet un juste équilibre de nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Trop de loi tue la loi, qui doit se limiter à l’essentiel.

Le modèle RH est lié au modèle économique libéral qui a pour objectif d’amasser un maximum d’argent en un minimum de temps, pour recréer d’autres entreprises (dans le meilleur des cas), et qui se fiche éperdument de l’humain. C’est effrayant ! Plus on sera nombreux à se lever pour dire que ce modèle n’est pas acceptable, sans renier ce qu’il a apporté, plus on pourra en créer un meilleur.

Vous contribuez à sensibiliser au pourquoi et au comment de cette prise de conscience et de ce besoin de changement. Or ceux-ci sont d’abord individuels, et une étude de Futuribles parue en mars 2015 montre une forte décorrélation de ces sujets avec la vision des RH. Qu’avez-vous vu dans les entreprises qui traduise que cette volonté individuelle se mette en mouvement plus globalement au niveau d’un collectif ?

J’ai par exemple rencontré Laurence VANHEE, Chief Happiness Officer du Ministère de la Sécurité Sociale belge, qui a cassé les rythmes et les codes, développé l’autonomie et le télétravail chez les collaborateurs. Chez ChateauForm, Chronoflex, Décathlon, Favi, Hervé, Gore, Google, Kiabi, Leroy Merlin, Pepsico ou Poult, le salarié sait pourquoi il est là, il est maitre de son temps. Cela parvient jusqu’aux grandes entreprises, mais prend du temps car il faut que les managers osent la confiance.

Le genou (Je-Nous) est une articulation majeure qui porte le corps. Dans l’entreprise, c’est pareil : plus on donne de la liberté et de la conscience au Je, plus on a le meilleur du Je. Si on fonctionne avec de la pression et un tas de règles très restrictives, le Je ne le supporte pas. A moyen-terme, on aboutit à un asservissement de l’Homme par l’Homme, et in fine aux risques psycho-sociaux, à l’explosion de l’absentéisme, du présentéisme et des burnouts. Patrons et salariés s’opposent, et en France cela est une culture hélas encore très présente. Le combat l’emporte sur le débat.

Il faut désormais se dire qu’en face de moi j’ai une personne qui a des talents, et que si je les trouve et que je les mets en énergie, ça sert l’entreprise. D’où la notion de Richesses ou de Relations Humaines pour qualifier les RH, et non de ressources qu’on gèrerait comme de l’argent ou des outils.

Mais il ne faut pas uniquement se focaliser sur le Je, sinon c’est chacun pour soi. On a donc besoin d’un Nous qui se construit ensemble et qui ne tombe pas du sommet. Pourquoi chaque Je va-t-il se lever pour travailler avec le Nous ? Parce que J’ai besoin de toi et inversement. Parce que Je suis reconnu Je dans le Nous. On a fait croire avec notre modèle qu’il y avait ceux au-dessus, et ceux en-dessous. Quelle erreur fondamentale ! Toute organisation n’a la force que de son maillon le plus faible, et tout maillon peut être faible à un moment donné… gare alors à la réaction en chaine !

A ce titre, le modèle de la Marine nationale est particulièrement intéressant : il a compris l’importance de l’apprentissage via l’expérience du terrain, et il démontre que le « bac+5 » qui arrive avec ses outils n’est pas forcément au-dessus du « bac à sable » qui arrive avec son énergie. Moi, on est venu me chercher pour être DRH car j’avais navigué et commandé des bateaux. Le chemin vaut le parchemin. Pour autant, je ne nie pas l’importance d’un diplôme dès lors qu’il est un chemin d’effort et de discipline intellectuelle. Gardons-nous simplement d’en faire le seul outil de sélection, comme c’est hélas trop souvent le cas en France, moins ailleurs. Une « élite » endogène et « clonée » est une « élite » en danger.

Parlons de l’entreprise libérée. Dans certains cas, cette « libération » ne marche pas car elle casse trop de codes et, comme cela est expliqué dans le livre Liberté & Cie d’Isaac GETZ et de Brian M. CARNEY, les managers qui perdent du pouvoir y sont réfractaires. Quel est à votre avis le meilleur catalyseur de cette vision, entre la DG, la DRH, le middle management ou la base ?

Au sujet de l’entreprise libérée, je parlerais davantage d’entreprise libérante, voire mieux apprenante, ce qui ne sous-entend pas qu’elle était aliénée avant. Les Chinois disent que « lorsque la tête est pourrie, le poisson meurt ». Donc, aussi longtemps que des mâles quinquagénaires et sexagénaires auront seuls le pouvoir et ne voudront rien lâcher, rien ne bougera. Il est temps de mettre des « gratte-poils » de 25 ans dans les CODIR. Il est temps aussi que les femmes prennent le pouvoir. Elles sont en général moins fractales que les mâles dominants.

Le problème est que les personnes avec nos idées sont en minorité, car être libre c’est être responsable, c’est tomber, avoir mal, se redresser, accepter que l’échec est un bonus et non un malus dès lors qu’il est surmonté et qu’il permet de cheminer. Plus il faut innover, plus il faut savoir échouer et rebondir positivement en faisant de l’échec une leçon et non une sanction. Agiles et fragiles, subtils et habiles, voilà les bonnes postures dans le monde qui vient.

En quoi le digital est-il un facteur favorable aux changements que nous appelons de nos vœux, et comment ça se traduit-il dans l’entreprise ?

Aujourd’hui, il y a une profusion de jeunes qui inventent des applications qui répondent à des besoins précis. La propriété laisse peu à peu la place à l’usage comme en témoigne le co-voiturage, les outils partagés, les logements échangés, etc. L’économie du partage gagne de nombreux secteurs. Il reste certes de la place pour le modèle industriel, mais nous serons de moins en moins nombreux à y travailler, d’autant que les machines qui amélioreront elles-mêmes leur rentabilité nous aurons supplantés ; avec l’économie du partage, on voit se créer localement de nouveaux emplois.

Pour revenir au digital, l’un des principaux leviers sera le MOOC (Massive Open Online Course), le partage du savoir : plus on sort l’Homme du travail productif, plus il devra gérer des écosystèmes complexes et les comprendre en vison « glocale » (globale et locale). Aujourd’hui, même dans les meilleures écoles, l’enseignement reçu est obsolète au bout de 5 ans ! Il faut donc développer des outils d’apprentissage en continu. Dans la Marine, on trouve un système de compagnonnage entre anciens et nouveaux, ce qui fait de très belles histoires humaines. Ainsi l’escalier social fonctionne (et non l’ascenseur, car il faut la volonté de grimper et accepter le risque de tomber). Plus l’être humain peut apprendre, plus il est heureux. La frustration dans l’Administration ou dans les entreprises est souvent liée à l’incapacité de progresser, à l’obligation de faire sempiternellement le même métier, dans le même environnement. On fane sur place.

Mais il est vrai que je nourris aussi moi-même une certaine frustration : je sens que mon message est entendu, qu’il apporte de l’énergie mais ensuite ? Souvent les entreprises n’en font rien de concret, sauf dans certains cas comme par exemple avec Saint Gobain : mon intervention a été filmée et a été découpée en sujets sur lesquels l’entreprise a fait travailler de petits groupes de cadres ; ils sont ensuite allés à Lorient chez Pegasus Leadership et ont été mis face à eux-mêmes pendant 3 jours pour faire naitre le « facteur de cohésion ». Au bilan, on leur a demandé : « vous avez été Nous ou pas ? Et qu’ont fait vos Je dans ce Nous ? ».

Entretien avec l’Amiral Olivier Lajous (Marine Nationale, DéciDRH)

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