Qu’est et que fait l’Office Européen des Brevets (OEB) ?
Cette organisation internationale qui siège à Munich a été créée en 1973 à l’initiative des six de la CEE et de la Grande-Bretagne, qui lui ont transféré leurs compétences en matière de délivrance de brevets à l’époque où l’Europe s’unifiait et nécessitait des règles du jeu communes.
L’OEB a connu une expansion forte puisqu’elle compte en 2014 38 Etats membres, soit un marché unique européen de 600 millions d’habitants (deux fois plus que les États-Unis), et qu’elle traite 270 000 demandes.
Notre métier est de délivrer un brevet qui est valable dans l’ensemble de nos Etats membres. Nous comptons pour cela 7000 personnes en tout, dont 4200 ingénieurs et scientifiques de haut niveau (examinateurs brevet).
Enfin, notre activité représente un budget annuel de l’ordre de 2 milliards d’Euros, entièrement couverts par les redevances des utilisateurs. Nous sommes donc autofinancés.
Sur le marché d’une Europe élargie, quels enjeux y a-t-il à ce que vos règles soient harmonisées avec d’autres grands marchés de Recherche et d’Innovation ?
L’innovation est un marché global et 65% de nos demandes de brevets proviennent de pays non-membres de l’OEB : en 1er lieu les Etats-Unis avec ¼ des brevets, en 2ème le Japon avec environ 20%, puis l’Allemagne, 1er Européen avec 12% du total. La France, avec 5% du total, est, elle, en légère baisse depuis 3 ans.
L’importance des demandes provenant de pays non-membres montre le côté attractif du marché de l’innovation en Europe et de ses capacités d’innovation. La balance des brevets est positive en Europe (plus d’export que d’import) et le brevet est en quelque sorte la monnaie globale de l’innovation (the currency of innovation).
Quels sont les atouts dont dispose l’OEB ?
Notre politique de qualité. Nous n’intervenons pas pour savoir si un brevet a un éventuel potentiel économique. Ce que nous délivrons, c’est un brevet juridiquement solide. Cette valeur a pour conséquence que l’ensemble des grandes entreprises préfèrent déposer leur brevet en premier à l’OEB puisque c’est là qu’il est le plus difficile à obtenir. Cette qualité des brevets européens est également un atout pour les entreprises européennes, car cela leur permet de mener de manière efficace leurs stratégies de propriété industrielle.
On constate aujourd’hui que l’Europe est soumise à beaucoup d’interrogations et de scepticisme. En quoi vos modes de fonctionnement et de gouvernance peuvent-ils servir de modèle pour démontrer qu’il est possible de travailler ensemble malgré des différences culturelles et économiques ?
L’OEB est un succès européen. Pendant des années, la question d’un brevet unitaire a été bloquée au niveau européen à cause de la question des langues. Nous avons alors décidé que nous travaillerions dans 3 langues : anglais, allemand et français. Ce trilinguisme nous donne un avantage par rapport à l’office américain, qui ne travaille qu’en anglais, sur la recherche d’antériorités par exemple.
Néanmoins, ce que les Etats membres ont accepté dans le cadre de l’OEB, organisation technique limitée au domaine de la délivrance de brevets, certains de ces Etats (Espagne, Italie) ne sont pas prêts à l’accepter au niveau de l’UE.
Mais dans notre domaine, des décisions importantes ont récemment été prises, les 28 voulant parachever le système européen des brevets. L’idée est de passer du brevet européen unique, qui devient ensuite autant de brevets nationaux, au brevet unitaire, afin qu’une seule démarche auprès de l’OEB permette la protection dans les 25 pays qui participent. Cela permet de simplifier le processus et de réduire son coût de 70% pour la même protection géographique. Il faut en parallèle créer une cour unifiée des brevets pour régler les litiges entre les partis. Cette création ne peut se faire que par un traité, négocié et signé en 2013. Nous sommes pour l’instant dans la phase de ratification nationale et déjà 5 pays l’ont ratifié, dont la France. La cour et le brevet unitaire allant de pair, je pense qu’on verra le premier brevet unitaire en 2016.
L’Europe est donc capable de progresser, d’aller de l’avant et d’exercer une influence au niveau mondial. Nous sommes par exemple à l’origine de standards mondiaux dans ce domaine :
- un moteur de recherche extrêmement performant et des bases de données complètes pour s’assurer qu’on a bien cherché dans l’ensemble de la connaissance mondiale que l’invention est nouvelle (utilisé par une quarantaine d’offices dans le monde) ;
- un système unique de classement, le CPC (Corporative Patent Classement) ;
- un système de traduction automatique dédié (Patent Translate), en partenariat avec Google, afin de pouvoir notamment avoir accès à la masse de connaissance technologique asiatique. Nous couvrons ainsi 32 langues dont 28 européennes ainsi que le chinois, le japonais, le coréen et le russe.
Ces trois outils ont été développés par l’OEB et sont en train de devenir des standards mondiaux qui permettent à l’Europe d’exercer un soft power.
Nous avons également créé une Académie qui a pour but de fournir des formations en matière de brevet européen et de sensibiliser à la propriété industrielle.
Aujourd’hui, dans les domaines porteurs des nouvelles technologies (NTIC, NBIC…), comment se situe l’Europe par rapport à des marchés qui semblent plus dynamiques, comme les Etats-Unis et l’Asie ?
L’industrie européenne est relativement bien placée dans la plupart des secteurs à une grosse exception près : les technologies de l’information et de la communication. Dans ces domaines (digital communication, composants électroniques, computer), l’Europe est largement absente. Mais dans le reste, par exemple les transports, l’industrie automobile, l’aéronautique, l’espace, le ferroviaire, l’énergie, les équipements électriques, les clean technologies, les pompes, les capteurs, etc., l’Europe est très compétitive.
Sur le sujet des biotechnologies, après un pic il y a quelques années, le nombre de brevets a baissé. On peut s’interroger sur l’effet de réglementations plus strictes en Europe qu’ailleurs.
C’est en fait le reflet de la réalité industrielle. Nous n’avons jamais développé des capacités dans ce domaine équivalentes à ce qu’ont fait les Etats-Unis et l’Asie. J’ai toujours en tête le fait que ce sont les équipes de Grenoble qui ont développé les écrans plats et que ce sont les Japonais qui ont su en faire des produits industriels de masse. Le sujet n’est donc pas seulement le brevet mais la liaison recherche-industrie, la capacité à transformer en produit industriel ce qui est développé dans les laboratoires ; c’est tout l’enjeu de la politique de l’innovation industrielle dans notre région. A ce titre, les résultats en Europe sont assez variés avec des pays qui s’en sortent plutôt bien, par exemple les pays scandinaves.
Vous avez été précédemment Président de l’INPI. Quel regard portez-vous sur le cas de la France en matière de relation recherche – industrie?
La France a des atouts et des faiblesses. Nos grandes entreprises sont un atout au niveau mondial, même si la part de la France dans leur chiffre d’affaires se réduit. Nous avons aussi une capacité de création de start-ups très importante mais notre problème est qu’un nombre très limité de ces entreprises réussit à atteindre une taille critique. Par rapport à des pays comme l’Allemagne ou l’Italie, sans parler des Etats-Unis, nous manquons de cet échelon intermédiaire que sont de grosses PME avec une grande capacité innovatrice et exportatrice. Il y a des problèmes d’effet de seuil, de charges et de prélèvements, et peut-être aussi une envie qui n’est pas suffisamment valorisée.
Par ailleurs, en France, une partie de la population voit le progrès technique d’une manière négative, en y associant davantage les risques que les bénéfices apportés, symbolisé d’une certaine manière par le principe de précaution qui, s’il est appliqué de manière trop stricte, ne favorise pas l’innovation et le progrès technologique. Ce courant reste important dans notre pays et se manifeste par des réticences sur le gaz de Schiste ou les OGM, et il faut avoir conscience que puisque les recherches se feront mais ailleurs, nous finirons par importer des produits issus de pays qui n’ont pas eu les mêmes contraintes. Concrètement, il n’y a pratiquement plus de recherche en France en matière d’OGM alors que l’agriculture et l’agroalimentaire sont des points forts de la France. Il y a ici une réflexion fondamentale à avoir pour ne pas rendre trop difficile voire impossible la recherche, d’autant que la France dispose d’atouts comme le crédit impôt recherche (CIR) ou la qualité de ses chercheurs.
Plus généralement, quels impacts l’OEB peut-il avoir, directement ou non, sur le futur du citoyen européen ?
L’OEB reste méconnu : très peu de gens savent la dimension acquise et le rôle que nous tenons. Cela tient à la complexité de la matière et les médias ont beaucoup de mal à s’y intéresser. Nous essayons d’y remédier depuis plusieurs années puisque nous avons créé un prix de l’Inventeur Européen de l’année pour raconter des histoires, mettre en avant des inventeurs et des entrepreneurs qui ont trouvé des solutions en matière de santé, d’environnement, etc., qui ont su créer de la richesse et développer des activités autour. Plutôt que des longs raisonnements théoriques, il est plus parlant d’identifier des cas concrets avec des inventeurs en chair et en os. Depuis dix ans, nous avons révélé des histoires extraordinaires qui mériteraient d’être mieux connues.
Ces entrepreneurs et ces inventeurs, ce sont les vrais héros de notre époque, ce sont eux qui vont nous permettre de trouver de solutions, d’améliorer notre qualité de vie, nos modes de vie et tout simplement de créer des activités et des emplois. En France, on a peu de matières premières ; la différence se fera par le travail de la matière grise ! En 2015, ces prix seront remis à Paris le 11 juin et j’espère que cela aura un retentissement national important.
Et parmi ces inventeurs, qu’ils aient été vainqueurs ou pas, quels sont ceux qui vous ont particulièrement marqué ?
Il y en a beaucoup. Je me rappelle de cet inventeur allemand qui a trouvé un système de chirurgie de l’œil et qui a rendu la vue, donc la vie, à des milliers de gens ; je me rappelle d’une petite PME danoise qui a mis au point un système permettant de chauffer toute une ville en utilisant de la biomasse. Il y a aussi cette équipe franco-belge qui est en train de développer un système capable d’identifier les cellules cancéreuses présentes dans les tissus et donc de les attaquer par des rayons hyper-ciblés.
Pour conclure, quels sont vos enjeux dans les années qui viennent ?
Nos enjeux sont de finaliser ce brevet unitaire ainsi que la cour des brevets, de continuer et d’accentuer notre leadership international en matière de brevet et enfin de faire en sorte que toujours plus d’entreprises utilisent la propriété industrielle comme outil stratégique, en particulier les PME. Cela leur donnera un avantage comparatif indispensable pour leur développement. L’appropriation de la propriété intellectuelle par les PME dans de nombreux pays, en particulier en France, est un des grands défis des prochaines années.